Ça

Jean-Pierre et Marcelle Rosnay, Olympia, 1978

Il n’y a qu’un homme et une femme assis sur un talus

ou sur un tronc d’arbre

qui puissent comprendre ça

parce que tout ce qui est essentiel

ne peut se comprendre qu’à deux

on a mis nos chaussures chacun

sur un plateau de la balance

naturellement les siennes étaient plus légères

tout s’est passé comme prévu au terme de quelques secondes

les deux plateaux de la balance se sont stabilisés sur le même niveau

alors nous avons ri comme des cabris

nous avons jeté nos vétements au sol et

nous sommes partis dans la nuit

vêtus d’utopie et de légende

l’espoir et notre amour bouillaient au fil de nos veines

Nous avons traversé des villes des plages des cimetières des mers

des idées à peine ébauchées

Nous avons fait des enfants

nous les portions tour à tour dans nos bras

une fois j’étais le père

je cassais du bois pour le feu une fois j’étais la mère

et je brassais la soupe

elle ma rose du désert c’était pareillement

lorsque nous sommes arrivés

l’un devant la sépulture de l’autre

ce fut un déchirement mais le vivant avait en lui la part

de l’autre et les autres s’en rendaient compte

Le mort préparait le trousseau de l’autre

lui dressait son lit de brume tiède

l’homme et la femme sont éternelle attente l’un de l’autre

Tous les ruisseaux le disent

Jean-Pierre Rosnay

via Ca, Poeme d'amour de Jean-Pierre Rosnay, Club des Poetes.