C’est une cascade
Non, ce sont les chutes du Niagara au-dessus desquelles passe sur un fil (comme je l’ai vu dans un film) un funambule — un parapluie ouvert au-dessus de la tête.
Et puis il y a nous ma belle, nous, nus sous ces grandes orgues d’eau. Tu me parles du temple d’Eleusis, tu parles fort, car ces fabuleuses orgues d’eau font une musique, un bruit qu’on s’entend a peine.
Tu parles du roi Salomon, d’Iram, d’un jeune feu aux flammes rousses, des chevaux de l’imaginaire, d’un poème traversé d’une seule phrase par un violoncelle.
Tu parles encore, du Temple d’Angkor je crois — le temps que je prenne mon crayon, tout s’est envolé.
Tu m’as dis aussi, il faudra voir, il faudra leur en parler.
Mais à qui parler, et de quoi ?
Tu danses, tu es immobile, tu es belle. Le temps, ici, dans ce temple d’eau, n’a pas prise sur toi. La preuve,
tu as quinze ans, pourtant nous sommes mariés depuis trente ans, notre fils ainé à vingt-huit ans et cela fait mille ans que tu passes ta main sur mon front pour chasser les oiseaux de l’angoisse.
Sur son fil, le funambule marche toujours — nous savons que son parapluie n’est pas un jouet, un objet de décoration, mais que c’est de lui qu’il obtient cet équilibre toujours menacé, dont dépend toute vie. Et pourtant.
Dans les vasques où rebondissent les éclaboussures de ce Niagara, fleurissent des millions et des milliards de mains jointes, depuis des millions et des milliards d’années.
Maintenant, voilà que tintent les abyssales cloches de la poésie nouvelle, libérée des formes anciennes.
Pourtant, rien ne nous fera renier les colonnes blessées de l’Olympe et les mérites de l’Alexandrin.
Quelqu’un te propose une chaise, tu refuses aimablement, et me demandes, ce n’est pas la première fois, si je crois que les animaux ont une âme.
Le soleil a fini sa tournée — il se fait tard — nous reprenons, comme si de rien n’était, notre place dans l’existence, dans notre rue, dans l’apparence.
Tout sera englouti, tout — excepté l’amour.
Jean-Pierre Rosnay